C’était au temps où le service militaire était finissant dans son fonctionnement et bientôt dans son existence (supprimé en 2001). En février 1985, on a appris, chez les appelés, qu’à Offenburg -garnison d’Allemagne des troupes françaises de stationnement, quatre ans avant la « chute du mur »-, un appelé s’était suicidé. Il a alimenté nos conversations et j’ai écrit un texte sous le coup de cette information, jamais passée dans les journaux. Au-delà du drame, le texte utilise le vocabulaire de l’époque et donne bien l’ambiance du service. Je n’y ai pas touché. Il n’a pas eu beaucoup de lecteurs.
Un appelé s’est suicidé.
C’était à Offenburg, à Bitche ou à Fréjus.
Un appelé s’est suicidé.
On ne sait pas pourquoi.
Il a dû, un jour, quitter sa maison, celle-là même où il sait que toujours on l’attendra : « Viens au Service de la France ! »
Ah ! Que c’est beau !
Il y est allé et il a vu, mon appelé.
Mais comme il était faible, il n’a connu que perceptions, réintégrations, punitions, permissions (« C’est comme les couilles, ça se suspend, disait certain adjudant d’escadron), la baise, quoi !
Et, au téléphone, ceux qui l’attendent :
– Tu rentres, ce week-end ?
– Je ne sais pas.
Et pourtant, comme il aurait voulu rentrer !
Quitter un peu ce milieu où 24h/24h, il y a les autres : Ce sont les copains qui vous montent une cathédrale précisément le soir où vous voulez dormir. (Une cathédrale consiste à soulever très vite le pied du lit d’un dormeur. Le lit se retrouve à la verticale, la literie sur le dormeur qui se réveille par terre!)
Ils sont sympas les copains ; ils aiment faire des blagues et on rigole bien avec eux.
Oui, seulement 24h/24h, c’est long !
Alors, on sort le soir pour se défoncer.
Mais le matin, il faut se lever, faire les servitudes, aller au rapport. Oui, mais avec une gueule d’enfer, ça craint un maximum.
Et on se fait brancher : une fois, deux fois… Et on a droit à un tour gratuit : garde ou renfort de garde, piquet d’intervention, etc.
« Tu rentres ? » entend-il au téléphone.
Alors, il a les boules, mon appelé.
Non Il ne pleure pas. Attention ! C’est un homme, mon appelé. On le lui dit, d’ailleurs, au rapport : « Vous êtes majeurs et vaccinés. », dit l’adjudant d’escadron. Ça, c’est vrai : neuf piqûres au total !
Et quand on est majeur, on prend ses responsabilités.
Tu parles !
Majeur, mon appelé ?
Mais c’est un enfant, mon sieur l’adjudant d’escadron qui n’a pas pour deux sous de psychologie.
Regardez-le !
Quand il est fatigué, fatigué d’attendre, assis sur un coin de son pieu, là où chaque soir, il doit revenir parce qu’il y est attaché !
Regardez ce visage qui espère, qui espère la perm’, qui espère arriver là où il sait qu’on l’attend.
Sauf que certain soir, il aura tellement les boules, mon appelé, qu’il ira prendre une corde.
Il est mort, mon appelé, car il avait oublié l’endroit où toujours on l’attend.
Bien sûr, vous pensez : il exagère, ce n’est pas le cas pour tout le monde.
Ça, c’est vrai ! Vous avez raison, Ô bonne âme statistique !
N’empêche qu’il est mort mon appelé !
Laisser un commentaire